mercredi 26 juillet 2017

Déjà la fin de « l'état de grâce ?


Après les présidentielles et les législatives,
tirer des enseignements ?

Le point au 26 juillet 2017.
Note V
par Jean-Pierre Dacheux


Quelques semaines ont passé. Vite... ! Et déjà on y voit plus clair. Un premier recul dans la « cote de popularité » d'Emmanuel Macron, (passée de 64% à 54%), n'est qu'un faible indicateur. Il y a plus sérieux. Constatons :

1 – S'affirmer « le chef » fait penser qu'on doute de l'être. Cela engendre une perte de crédibilité.

2 – Le nombre de ceux qui croyaient possible de mener une politique « et de droite et de gauche » décroît rapidement. Le gouvernement s'est engagé franchement dans une politique marquée à droite.

3 – Le quinquennat apparaît comme la suite du désastreux précédent, l'autoritarisme en plus.

4­ – Les passages en force avec une majorité de députés, a priori dociles, et le recours aux ordonnances, vont réveiller l'opinion après l'été, et engendrer des conflits sociaux qu'on aurait tort de sous-estimer !

5 – Le maintien et l'aggravation de l'interventionnisme de la France en Afrique et au Moyen-Orient, fragilisent la lutte contre les terroristes parce qu'ils leur fournissent des arguments et les motivent.

6 – Les mises en scène des rencontres avec des personnalités politiques internationales, (notamment Trump, Poutine, Merkel, Netanyahou...), à Paris, ou au cours du G20, visant à fournir, au plus vite, une célébrité et une notoriété au Président des Français, ont donné un caractère spectaculaire, pompeux et plus que jamais monarchique à la République !

7 – La politique militaire de la France conduit à un lourd et double échec :
Quel que soit le chef d'état major des armées (l'avant-dernier a été remercié sans délicatesse !), le budget consacré aux interventions multiples, dispersées, longues, sans efficacité politique avérée, est très insuffisant et ce d'autant plus qu'on veut, en même temps, entretenir et perfectionner la force de dissuasion nucléaire ! La France n'a plus les moyens de tenir ce rôle de grande puissance.

8 – La continuation de la politique de répression des réfugiés va échouer ou plonger le pays dans un néo-racisme des plus inquiétants.

9 – Nous ne pouvons vivre indéfiniment dans l'exception de l'état d'urgence ni dans la fausse banalité d'un état légal de protection permanente. La paix civile est ailleurs.

10 – Diminuer de 5 euros par mois l'APL, qui concerne 6,5 millions de foyers, n'est peu de chose que pour ceux qui vivent à l'abri du besoin ! Le gouvernement démontre qu'il est celui de riches.

11 - La hausse de la CSG annoncée par le gouvernement d'Edouard Philippe devrait profiter, nous dit-on, aux salariés au détriment des retraités, des fonctionnaires et des indépendants. Parce que les fonctionnaires ne sont pas des salariés ? Parce que les retraités ( hormis les plus pauvres, exonérés) ont des « bas de laine » trop pleins ? Se mettre les retraités et les fontionnaires à dos n'est pas non plus électoralement très prudent.

12 – Revenir en arrière sur la semaine scolaire de quatre jours (pour les communes qui le veulent) est le signe d'un abandon de la recherche de l'aménagement des temps de vie des enfants au profit de celui des adultes. Ce choix significatif va à l'encontre de l'éducation des enfants alors qu'en Europe , comme dans le monde, notre pays a cessé d'être performant !

Et l'on pourrait allonger la liste des motifs d'insatisfaction.

Avertissements :

À ceux qui louent encore Gerhard Schröeder pour sa politique de réduction des avantages sociaux, soit-disant pour donner une impulsion à l'économie allemande, rappelons que, le 22/11/2005, le chancelier social-démocrate, battu, cédait sa place à Angela Merkel, se retirait de la vie politique et se lançait dans le monde des affaires, là où il fut le bien venu...
Est-ce cette déconfiture qui attend le gouvernement Macron ses ministres et lui-même ?

La non prise en compte de l'ampleur de l'abstention, des votes blancs et des votes nuls, tant aux présidentielles qu'aux législatives (des records historiques!) et, précisément, des faibles scores du candidat Macron (par rapport aux inscrits), dont les enseignements n'ont pas été tirés, est d'une imprudence inattendue et surprenante !

In fine et surtout, il y a pire que la multiplication des causes de doute. Il y a l'émergence, de plus en plus visible, pour la majorité des Français, d'une politique générale dure aux plus modestes et favorable aux plus fortunés, en dépit des affirmations entendues durant la campagne électorale. Un mensonge et un piège dont, déjà, certains députés qui se voulaient « En marche » commencent à se rendre compte.

Quant à la droite traditionnelle, elle se réjouit de ces bévues et pas de clerc : dépitée et revencharde, elle met de l'huile sur le feu et manifeste parfois son opposition en la « gauchisant » s'il le faut. Cela n'augure pas d'un avenir paisible et réconcilié entre les forces politiques en présence. 

Tant mieux !

La France mérite mieux que ce qu'elle a subi et continue de subir, de Sarkozy à Macron !

Il faudra bien la « déprésidentialiser » tôt ou tard.




lundi 24 juillet 2017

Lettre ouverte au Président de la République.


Une nouvelle fois, nous voulons relayer la lettre ci-dessous envoyée au Président de la République. Contrairement au signataire de cette lettre nous n'avons pas voté pour E. Macron, pas plus que pour le FN, bien entendu, mais nous sommes en accord total avec les propos du signataire qui dénonce un comportement inhumain des autorités françaises que nous constatons aussi dans notre département où il pleut, cette été, des Obligations à Quitter le Territoire Français.

Jean-Claude VITRAN
_______________________


M. Macron, est-ce pour en arriver là que j'ai voté pour vous ?


Dans cette lettre ouverte à Emmanuel Macron, le cinéaste Laurent Cantet fait part de son « profond écœurement » sur le sort fait aux migrants, après une tentative de suicide en rétention.

Monsieur le Président,


Après avoir tenté de m'adresser à vous par des voies officielles, j'ai pris la décision de vous adresser cette lettre ouverte qui, je l'espère, sera plus efficace que mes tentatives plus discrètes.

Le 14 juillet, le jour où, au côté de Monsieur et Madame Trump, vous commémoriez la prise de La Bastille et l'avènement d'un monde plus juste, l'avant-veille veille du jour où, au côté de Monsieur Netanyahou, vous rendiez hommage aux victimes du Vel d’hiv, affirmant que Vichy était bien la France et reconnaissant la responsabilité de la nation dans la rafle, Madame Cao, une jeune femme d'origine chinoise, mère d'une fillette de 10 ans scolarisée en France et enceinte de 4 mois, était conduite à l'aéroport pour être expulsée vers la Chine qu'elle avait quitté il y a deux ans avec sa famille.

Ce jour là, elle a refusé d'embarquer, et a été replacée au centre de rétention du Palais de Justice de Paris, celui-là même où elle venait de passer trois semaines et où elle avait perdu 8 kilos, mettant en danger l'enfant qu'elle attend.

Dans la lettre que je vous ai adressée alors (lire sur Mediapart L'expulsée du 14 juillet), je décrivais l'angoisse de sa fille qui se préparait à grandir sans sa mère, celle de son mari qui n'allait pas connaitre son enfant à naître. Je vous rappelais aussi vos déclarations sur le traitement humaniste que vous appeliez de vos vœux face à l'immigration. Dix jours plus tard, il semblerait que tout ça soit resté lettre morte. Madame Cao est toujours en centre de rétention et attend le jour où elle sera remise, de force cette fois, dans un avion en partance pour la Chine.

L'histoire pourrait s'arrêter là, elle ne serait qu'un exemple parmi tant d'autres de l'acharnement dont sont victimes tant de réfugiés et sans papiers.

Mais hier, le 22 juillet, toujours plus affaiblie par ce séjour prolongé en centre de rétention, Madame Cao a tenté de mettre fin à ses jours en s'ouvrant le poignet. Conduite d'urgence à l'hôpital, elle a été soignée, puis sitôt hors de danger, reconduite en rétention !

Je vous écris aujourd'hui pour vous faire part de mon profond écœurement. Est-ce pour en arriver là que j'ai voté pour vous au second tour des élections présidentielles, espérant faire barrage aux idées nauséabondes du Front National ? Depuis longtemps, l'indignité de notre nation grandit de gouvernement en gouvernement. Je crains que ce ne soit pas le vôtre qui mette un terme à cette escalade.

Mais aujourd'hui, je ne suis pas seul à m'indigner. Nous somme nombreux à réclamer un traitement décent pour tous les réfugiés. Une campagne en faveur de la régularisation de Mme Cao à inondé de mails les secrétariats des ministères et de l’Elysée, des coups de téléphone ont occupé les standards. La seule chose que nous puissions faire, c'est dénoncer par tous les moyens l'indignité de ce que vous faites en notre nom à tous. Comptez sur nous pour ne pas y renoncer de si tôt.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments républicains.


Laurent Cantet
 Membre du club des invités de Mediapart

mardi 11 juillet 2017

Le coût de la main-d'oeuvre française, un mensonge bien rodé !


Ce midi, lors d'une interview télévisée, avec beaucoup d'aplomb, un industriel français a encore annoncé comme une évidence que le coût de la main-d'oeuvre française était la plus chère de l'Union Européenne (UE).

Il est particulièrement navrant d'entendre répéter cette contrevérité, ce mensonge, cette manipulation qui fait son chemin dans l'opinion publique et qui sert, grandement, les intérêts du nouveau gouvernement lorsqu'il entend bouleverser le code du travail et les relations salariés / patrons.

Voici les statistiques comparatives fournies par le Conseil de l'Europe arrêtées au premier trimestre 2017 :


Industrie manufacturière
Le classement est le suivant : Norvège, Danemark, Belgique, Suède, Allemagne et France.



Industrie et Service marchand
Le classement est le suivant : Norvège, Danemark, Suède, Belgique et France


Comme on peut le constater, la France se situe en 6ème et 5ème position, et si l'on calcule la moyenne des deux branches, elle est alors en 6ème position derrière l'Allemagne, pays que l'on montre souvent en exemple comme le bon élève de l'Europe.

Pour aller plus loin, dans une Europe qui veut lutter contre le dumping social, l'amplitude du coût horaire dans l'UE est de un - 3,98 € / 4,69 € - en Bulgarie à douze - 50,11 € / 53,48 € - en Norvège et que 7 pays, tous issus de l'ex bloc de l'est, sont sous la barre des 10,00 € ou flirte avec elle pour la Croatie. Même s'il ne faut pas oublier que le coût de la vie n'est pas le même dans les deux pays, le fossé est énorme entre la Bulgarie et la Norvège.

Au vu du traitement impitoyable qu'elle subit, le coût horaire de la Grèce chute à 14,07 €, moins 19 % par rapport à 2008.

Ce que l'on évoque beaucoup moins, c'est « le hold-up tranquille » de la valeur ajoutée : le coût des dividendes versés aux actionnaires. De 2009 à 2014, ils ont augmenté de 58% alors que, dans la même période, et malgré l’envolée des très hauts salaires (environ 13 000 salariés) le salaire net médian stagne autour de 1730 €.

Selon une étude de l'INSEE sur le partage de la valeur ajoutée, entre 1996 et 2006, les 0,1 % les mieux rémunérés ont vu leur salaire mensuel brut progresser de 19 374 à 24 000 € soit un gain de 28 %, - plus 4626 € - alors que pour la plupart des 60 % des salariés les moins bien payés, le gain n’a pas dépassé 130 €.
En moyenne, le partage entre la rémunération du capital et le travail est aujourd’hui en France de l’ordre de deux tiers pour les salaires et un tiers pour le capital.

Une mise en garde devrait, pourtant, alerter les pouvoirs publics : « La part des profits est inhabituellement élevée à présent et la part des salaires inhabituellement basse. En fait, l’amplitude de cette évolution et l’éventail des pays concernés n’a pas de précédent dans les 45 dernières années. » Cette remarque provient d’un article de la Bank for International Settlements - La Banque des Règlements Internationaux. Ce sont les dirigeants de cette institution qui dressent le constat suivant : « jamais les bénéfices n’ont été aussi hauts, jamais les salaires n’ont été aussi bas, un déséquilibre inédit depuis au moins un demi-siècle, et vrai pour l’ensemble des pays industrialisés. »
Le Fond Monétaire International rajoute que la part des salaires dans le Produit Intérieur Brut a baissé de 5,8 % entre 1983 et 2006 et la Commission européenne confirme qu'au sein de l’Europe, cette fois, la part des salaires a chuté en moyenne de 8,6 % et en France de 9,3 %.

La très grande disparité de la répartition des plus-value, les importantes inégalités sociales et la stagnation des rémunérations devraient commander au gouvernement d'avoir la sagesse de revoir les politiques salariales dans l'esprit d'une redistribution plus juste.

Je crains, malheureusement, de ne pas avoir compris que cela soit l'objectif annoncé par le gouvernement Macron.


Jean-Claude VITRAN



samedi 8 juillet 2017

La République sera humaine ou ne marchera pas


Nous avons choisi de relayer la lettre ouverte ci-dessous adressée par le Maire de Grande-Synthe au nouveau Président de la République car nous sommes en accord avec tous ses propos.

Jean-Claude VITRAN et Jean-Pierre DACHEUX




Maire de Grande-Synthe, j'ai ouvert le premier de camp de réfugiés en France en mars 2016 pour faire face à une urgence humanitaire et au refus de l'Etat, à l'époque, de prendre en compte la situation extrême à laquelle j'étais confronté. Ce camp a complètement été détruit par un incendie le 10 avril dernier. Aujourd'hui, plus de 350 réfugiés sont à nouveau là. Depuis son élection, j'ai interpellé le nouveau gouvernement en vain.




Monsieur le Président de la République,
Si je m’adresse à vous aujourd’hui par le biais de cette lettre ouverte, c’est parce qu’en tant qu’élu de la République - au même titre que vous - je vous ai demandé un rendez-vous, à vous-même, à votre 1er ministre et à votre ministre de l’intérieur voilà déjà plusieurs semaines. Or, malgré l’urgence humanitaire à laquelle je dois à nouveau faire face dans ma commune, vous refusez de prendre en considération l’urgence extrême de ma sollicitation.
Je décide donc, aujourd’hui, de prendre la France à témoin de mon interpellation.
Pour mémoire : le 10 avril 2017, le lieu d’accueil humanitaire de Grande-Synthe brûlait.
C’était hier. C’était il y a trois mois. C’était il y a une éternité.
Ce lieu d’accueil a permis, pendant plus d’un an d’existence, de mettre à l’abri des milliers de personnes, hommes, femmes, enfants, essentiellement kurdes, puis afghans, venus d’horizons divers, souvent de zones de guerres ou en prise au terrorisme.
Si j’ai décidé, seul, de construire ce lieu d’accueil humanitaire en décembre 2015 avec l’aide de MSF, c’est parce que tout comme aujourd’hui, je n’obtenais aucune réponse du gouvernement de l’époque à mes interpellations face à un véritable drame humanitaire qui se jouait sur ma commune. Des centaines, puis de milliers de personnes venaient trouver refuge sur le sol de ma petite ville de 23 000 habitants. Quel choix s’offrait à moi, en tant que garant des valeurs de la république française ?
Dans mon monde, Monsieur le Président, celui que je m’échine à construire, les mots Liberté, Egalité, Fraternité ne sont pas des anagrammes hasardeux piochés à l’aveugle dans une pochette usagée d’un vulgaire jeu de société.
Est-ce que les mêmes causes devront produire les mêmes effets cet été 2017 ?
Notre lieu d’accueil, communément appelé La Linière, a permis pendant des mois d’être un lieu de premier secours humanitaire, offrant ce temps de répit et de récupération à toutes celles et ceux qui avaient tant risqué et déjà tant perdu pour arriver jusqu’à Grande-Synthe - à défaut de pouvoir passer en Angleterre par Calais -
La Linière n’était pas « un point de fixation » Monsieur le Président, mais bien un point d’étape. Un lieu de transit sur la route de la migration qui pousse ces milliers de personnes  vers l’Angleterre.
Il n’a créé aucun « appel d’air » contrairement à ce qu’affirme votre ministre de l’intérieur, puisqu’ils étaient déjà 2 500 sur ma ville avant que je décide de la construction du site !
Il y avait, jusqu’en octobre 2016, près de 6 000 réfugiés à Calais alors que rien n’avait été conçu pour les accueillir.
Ils étaient plus de 3 000 à Paris avant qu’Anne Hidalgo ne décide courageusement de créer un lieu d’accueil à La Chapelle et à Ivry.
Ils sont aujourd’hui, comme hier, plus de 100 à Steenvoorde, dans le nord, alors que rien n’existe pour eux.
Évoquer l’appel d’air n’est que prétexte à l’immobilisme !
Un immobilisme ravageur sur le plan humain.
Un immobilisme mortifère.
Un immobilisme indigne de la France, patrie dite des « Droits de l’Homme et du Citoyen ».
Un immobilisme contraire à vos récentes déclarations à Bruxelles et à Versailles.
De mars à août 2016, nous avons avec l’aide de l’état, du  travail extraordinaire d’associations dévouées, des non moins remarquables ONG - Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde, la Croix Rouge Française, Gynécologie Sans Frontières, Dentistes Sans Frontières - et des services de la ville, ramené le camp à une jauge « raisonnable» puisque la population sur le site est passée de 1 350 personnes à 700.
C’est le démantèlement de la Jungle de Calais qui est venu bousculer notre lieu d’accueil humanitaire et conduit à la fin que nous connaissons.
Je reçois aujourd’hui de nombreux témoignages, y compris de personnes antérieurement hostiles au camp, qui m’interpellent sur son rôle et son utilité pour tous ; les réfugiés évidemment, mais aussi les associations et à mots couverts les divers services de l’état qui voyaient dans ce camp un outil pour canaliser la pression et éviter ce que nous connaissons depuis sa disparition : l’étalement et l’éparpillement des migrants sur tout le littoral dans des conditions de vie indignes.
Expliquez-moi, Monsieur le Président, comment aujourd’hui peut-on prétendre contrôler quoi que ce soit, prévoir quoi que ce soit alors que ne prévaut qu’une politique de fermeté et d’intransigeance contre les réfugiés, secondée d’un mépris total envers les associations ?
Comment aujourd’hui pourrait-on se contenter de «disperser et ventiler» les réfugiés pour les condamner à errer sans but comme s’ils étaient par nature invisibles ?
Ces migrants, ces réfugiés ont tous une identité et une vie, Monsieur le Président.
Ils cherchent à Paris, Grande-Synthe, Calais, Steenvoorde ou ailleurs, un refuge.
Ne le voyez vous pas ? Ou peut-être ne le comprenez-vous pas ?
En les traquant comme des animaux, nous les transformons inévitablement en bêtes humaines.
On les traque de la sorte en espérant - peut-être ? - qu’ils craquent et commettent des méfaits qui justifieraient l’emploi de la force et les évacuations musclées. Vous pourrez alors, en bout de course, l’affirmer avec pédagogie – démagogie ?-  «  On vous l’avait bien dit ! »
Nous serions ainsi condamnés à l’impuissance et au cynisme en évitant de construire des lieux d’accueil humanitaires parce qu’ils provoqueraient « un appel d’air inévitable » ? Nous devrions choisir l’aveuglement, changer le prisme de notre conscience objective pour ne simplement plus voir ceux qui reconstituent des campements aujourd’hui, et demain, c’est certain, des jungles ?
Préfère-t-on les « jungles » à des lieux d’accueil humanitaires dans notre République française du 21ème siècle ?
Préfère-t-on nier les problèmes et s’en remettre à des recettes qui ont déjà toutes échouées ?
Préfère-t-on réellement bloquer ces migrants en Lybie, où la plupart d’entre eux se font violer ou torturer, loin de nos frontières et de nos yeux bien clos ?
Monsieur le Président, vous avez déclaré récemment à Bruxelles : « la France doit se montrer digne d’être la patrie des Droits de l’Homme en devenant un modèle d’hospitalité ».
Au même moment, votre ministre de l’intérieur fustigeait les associations à Calais en leur demandant « d’aller faire voir leur savoir-faire ailleurs ! ».
Ces discours étrangement contradictoires ne peuvent perdurer.
Mettez vos déclarations en actes !
Le gouvernement a choisi délibérément de tracer une frontière invisible, une ligne de démarcation organisant d’un côté la prise en charge des réfugiés via les Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO) et laissant à l’abandon de l’autre côté, sur le littoral des Hauts de France, à la fois les migrants et les collectivités.
C’est, je vous l’écris Monsieur le Président, honteux et inacceptable !
J’ai croisé sur le lieu humanitaire de la Linière, bien des destins ; des destins meurtris, blessés mais toujours dignes.
D’aucuns diront peut-être que ma vision est « angélique ».
Je sais mieux que quiconque que La Linière était loin d’être parfaite. Mais notre lieu d’accueil était à l’époque la seule et indispensable réponse à l’urgence.
J’ai toujours soutenu depuis leur création la constitution de centres d’accueil et d’orientation et j’ai défendu les mérites de ces dispositifs dans tous mes déplacements ainsi qu’auprès de mes collègues maires.
Nombre d’entres eux témoignent d’ailleurs de la richesse qui en découle. Lorsqu’ils en ouvrent sur leur commune, tout se passe merveilleusement bien, avec les réfugiés, comme avec la population locale. En dépit quelquefois de manifestations préalables à l’annonce de l’ouverture des CAO.
Il faut les multiplier, les renforcer, asseoir davantage les fonctions d’accueil et d’orientation avec l’aide des associations, des citoyens locaux, plutôt que de s’en servir comme de lieux permettant d’y repousser les réfugiés.
Je souhaite que nous construisions une répartition territoriale du dispositif national d’accueil dans lequel le littoral Côte d’Opale devra aussi prendre sa part. Nous pourrons y créer des lieux d’accueil et de transit dans lesquels, celles et ceux qui arrivent sur le littoral, comme c’est le cas à Paris, se poseront quelques jours et réfléchiront à la suite de leur parcours. Car tant que l’Angleterre sera là, à portée de vue des falaises, des réfugiés voudront s’y rendre. - Et à cela, vous ne pourrez rien changer -.
Grande-Synthe est prête à accueillir dignement, à la hauteur d’un lieu dimensionné et respectueux des lois et des personnes y séjournant. Nous avons ici ou à Paris démontré que cela était possible, à la condition que l’Etat nous accompagne.
Il faudra que vous persuadiez d’autres maires d’accepter d’ouvrir des lieux, en les accompagnant financièrement au titre d’une «péréquation humanitaire ». Quelle magnifique mesure ce serait là ! Une mesure chargée de symbole !
Il faudra aussi, Monsieur le Président, réformer le droit d’asile, rendre plus rapide l’examen des demandes et élargir la notion de protections, alors que les procédures sont aujourd’hui décourageantes et malsaines.
Enfin parce que cela est une exigence absolue, nous devons tout faire pour lutter contre les réseaux de passeurs, comme je l’ai fait à Grande-Synthe. Je réaffirme au passage, que ce ne sont pas les lieux d’accueil qui favorisent les réseaux de passeurs, mais bel et bien les frontières, les murs, les barbelés et les garde-frontières que l’on multiplie qui donnent naissance à ces réseaux mafieux. Depuis toujours.
Il faudra donc, au-delà des réponses répressives de la police et de la justice, assécher ce trafic intarissable en créant des corridors humanitaires entre l’Europe et les pays de départ, aux frontières de ces pays, et accorder beaucoup plus de visas humanitaires. Visas qu’il faudra rendre européens.
Monsieur le Président, il fut un temps où la France a tristement organisé 54 000 traversées de l’Atlantique pour transporter 13 millions d’esclaves.
Il est venu l’heure de laver cet affront historique aux yeux du monde, en organisant un accueil avec le minimum d’hospitalité et de dignité qu’exige la vie de tout être humain. A fortiori dans ce beau pays qui nous/vous a été confié, où constitutionnellement «Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Vous allez sortir un nouveau texte fixant de «nouvelles» directives, élaborer un «nouveau» plan. Un de plus. La liste est pourtant tristement longue.
Le problème, Monsieur le Président, c’est qu’aujourd’hui, la France est sur-administrée par des textes, et bien trop sous-administrée en moyens.
Il faut poser des actes.
Des actes audacieux.
Des actes courageux.
Dans l’espoir sincère que vous aurez le courage d’entendre ce que je tâche de vous écrire dans cette longue lettre et dans l’attente impatiente de vous lire,
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mon profond respect.


Damien CAREME
Maire de Grande-Synthe


vendredi 7 juillet 2017

Capitalisme : TINA est faux, il y a TOUJOURS des alternatives.


Le texte de ce blog a pour origine une discussion à bâton rompu et une impasse conceptuelle dont nous voulons sortir. Il a été écrit pour susciter le débat sur le système économique et ses conséquences sur les politiques publiques actuelles. Il est le point de départ d'une réflexion plus longue sur le sujet.


Il y a quelques jours, lors d'une conversation sur les systèmes économiques, une de nos interlocutrices a affirmé qu'il n'existait pas d'alternatives au capitalisme.

En quelque sorte, cette personne s'appropriait le fameux acronyme TINA1 couramment utilisé dans les années 1980 par Margaret Thatcher lorsqu'elle était Premier ministre du Royaume-Uni. Ce slogan, issu des théories économiques de Milton Friedmann et de ses prédateurs, les fameux « Chicago boys », signifie que le marché et le capitalisme sont des systèmes bénéfiques à l'essor de la société contemporaine et que tout régime qui prendrait une autre direction irait à l'échec.

Avec détermination, nous lui avons opposé qu'il nous semblait que cette conception rigide, contrainte et « pessimiste » du système économique moderne était fausse, car il y a toujours des alternatives. Penser le contraire c'est donner du crédit à Hegel et surtout à Francis Fukuyama2 qui a philosophé sur la « fin de l'histoire ».

La réponse de notre interlocutrice a été brève et méprisante : Qu'elle est donc cette alternative ?

Nous sommes attristés et vexés d'avouer que, n'ayant pas de réponse à apporter, nous sommes restés tristement muet.

Ce n'est pas la première fois que l'on nous oppose cette question et il devient indispensable, vital, d'apporter une réponse, sinon plus aucun débat n'est possible, il faut accepter le libéralisme sous toutes ses formes, les plus féroces, les plus perverses, en constatant que « circuler, il n'y a rien à voir ... ».

Non ! Il est impensable d'abdiquer, impossible de laisser le capitalisme financier, ennemi de l'humanité, paupériser la planète à l'exception d'une petite minorité oligarchique et faire œuvre de destruction de toutes les démocraties.

Pour y réfléchir depuis longtemps, il nous semble qu'il existe une réponse, conceptualisée il y a plus de deux siècles par nos ancêtres et que l'on retrouve depuis le 4 novembre 1848 dans chacune des Constitutions de la République Française.

C'est la devise de la République : Liberté - Egalité - Fraternité.

En effet, si cette magnifique devise, qui n'est aujourd'hui que la fausse barbe de la République, de la démocratie française, était appliquée, nous n'aurions pas à nous poser la question d'une alternative au capitalisme puisqu'elle serait l'alternative.

Par ailleurs, nous pensons qu'il ne faut pas accabler le capitalisme de tous les maux ; sans le dédouaner de ses perversités, le capitalisme est ce qu'en on fait et en font « ses pratiquants » qui de manière pathologique et perverse repoussent ses limites dans ses ultimes extrémités pour en tirer la quintessence pécuniaire. Le marxisme a été détourné et perverti dans des conditions presque semblables.

Alors, reprenons chaque mot de la devise Républicaine :

Liberté :

Du latin libertas (« état de l’homme libre »), dérivé de liber (« homme libre »).

La déclaration de 1789 dit : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »

Parler de loi nécessite d'introduire la notion d'Etat Nation qui est un concept désignant la réunion d'une organisation politique, l'Etat, et d'un ensemble d'individus qui sont liés et appartiennent à un même groupe, la Nation.

Les tenants de l'économie capitaliste ont forgé au début de 19ème siècle le mot « libéralisme » de même étymologie que liberté et dont le sens est chargé d’ambiguïté.
En effet, si le libéralisme prône la liberté d'expression, il défend aussi, dans le domaine économique, l'initiative privée, la libre concurrence et son corollaire l'économie de marché, essence même du capitalisme. De plus, le libéralisme actuel voudrait aboutir à la disparition de l'Etat Nation.

En ce qui concerne le cadre de l'Union européenne les libertés garanties par le marché unique, sont :
la libre circulation des biens,
la libre circulation des capitaux,
la libre circulation des services,
la libre circulation des personnes.
Il est à remarquer que les trois premiers points, priorités de l'UE, sont d'ordre économique et que le quatrième concerne plus particulièrement les travailleurs et ne fait nullement référence à l'Homme « social ».

Depuis le début du 21ème siècle, les gouvernements occidentaux au prétexte d'assurer la sécurité des citoyens, qui pour la majorité d'entre eux sont demandeurs, ont tendance à restreindre les libertés. La célèbre citation de Thomas Jefferson - « Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre » - se vérifie en permanence ; Nous y reviendrons dans un prochain texte.

Egalité :

L'égalité est le principe qui fait que tous les Etres humains doivent être traités de la même manière, avec la même dignité, qu'ils disposent des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs.

En 1789, lors de la rédaction de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, l'Assemblée Nationale a déclaré : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » et en 1948 les signataires de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) ont complété : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »
Pourtant, les archives des débats tenus lors de la rédaction de ces déclarations ne mentionnent pas que les rédacteurs aient pensé égalité sociale ; ils ont débattu de l'égalité civique, politique et morale sans vouloir égaliser les moyens et les conditions d'existence.
Par ailleurs, avant 1848, le voté n'était toujours pas égalitaire, il a fallu attendre cette date pour que le vote au suffrage universel3 soit réellement effectif.

Après la seconde guerre mondiale, dans le but de combattre toutes les formes de discriminations, les rédacteurs de la DUDH ont ajouté les mots « égalité en dignité ».

Fraternité :

C'est le troisième terme de la devise Républicaine. Il désigne un lien de solidarité, de partage ; celui qui fait cruellement défaut au libéralisme moderne et qui rassemblant toutes les composantes de la société, supprimerait le « moi » pour faire un « nous ».

Même si la fraternité est citée à l'article premier de la déclaration universelle des droits de l’homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » la principale critique que l’on peut adresser à l’Occident, c’est d’avoir oublié cet idéal de fraternité, et la Constitution française de 1958 mentionne seulement trois fois la fraternité, dans le contexte de la devise républicaine, sans plus

En effet, aujourd'hui, « tous » parlent parlent de justice, de tolérance, de dignité, de solidarité, de fraternité, car il est de bon ton d'en parler, mais cela reste seulement du domaine du seul verbe, pas de l'action. La majorité des individus, même le « peuple » n'entend que le langage de la consommation, celui des banquiers, des marchands, de l'argent …

Ce n'est pas nouveau, déjà Aristote, vers 350 avant notre ère, dénonçait l’hybris (la démesure) et forge le mot chrématistique4 pour condamner l'accumulation des moyens d'acquisition plus particulièrement celui qui accumule la monnaie pour elle-même.

Cela peut paraître théorique et utopique de penser que la fraternité pourrait être une alternative au capitalisme pourtant l'idée de partage contenu dans le mot devrait permettre d'établir une société plus harmonieuse car après tout le capitalisme ne reflète que l’égoïsme général empêchant une répartition équitable et fraternelle des richesses.

D'ailleurs, nous reviendrons sur cette valeur humaine fondamentale, souvent dévoyée, et dont on évite soigneusement de parler, parce qu'elle est profondément Politique, qu'à ce titre elle fait peur et qu'elle renferme en elle tous les « ingrédients » nécessaires et suffisants pour lutter contre le capitalisme.


Jean-Claude VITRAN et Jean-Pierre DACHEUX


1.   TINA : there is no alternative - il n'y pas d’alternative.
2.   La fin de l'histoire et le dernier homme – Editions Flammarion 1992
3.   Seulement pour les hommes, puisque les femmes n'ont le droit de voter que depuis 1944
4   https://fr.wikipedia.org/wiki/Chrématistique

lundi 3 juillet 2017

Jupiter méprise les gens qui ne sont rien !


D'après ses porte-paroles, Emmanuel Macron a décidé de ne pas donner la traditionnelle interview présidentielle du 14 juillet parce que, selon le journal Le Monde, « la pensée complexe du président se prête mal au jeu des questions-réponses avec des journalistes. »

Il est vrai, comme l'écrit Mediapart, qu'il rencontrera le même jour un autre adepte de la "pensée complexe", Donald Trump ... cela fait effectivement beaucoup.

Il faut bien sûr chercher ailleurs les raisons de cette décision.

Ces prises de paroles semblent confirmer que le prince a une peu flatteuse opinion du peuple.

En effet, jeudi dernier, alors qu'il inaugurait la Station F, ancienne gare transformée en campus géant destiné aux start-up, il a affirmé « Une gare, c'est un lieu où l'on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien ».

Dimanche, au Mali, il emploie une nouvelle fois cette expression. En évoquant les ravisseurs de Sophie Pétronin, otage française, il dit : « Ces gens ne sont rien, ce sont des terroristes, des voyous et des assassins, et nous mettrons toute notre énergie à les éradiquer. »

Veut-il dire que dans les gares de France en dehors de quelques « winners » on ne croise que des terroristes, des voyous, des assassins, des fainéants et des imbéciles ?

Veut-il justifier la prolongation de l'état d'urgence, car le peuple est dangereux, refrain bien connu ?

Est-ce l'expression de son mépris de classe et de sa pensée complexe et inaccessible qui contemple la plèbe depuis l'Olympe, pardon l'Elysée ?

Je pense que cette dernière interrogation est la bonne car il n'en est pas à sa première petite phrase assassine.

Rappelez-vous lors d'un déplacement à Lunel en 2016, alors qu'il était ministre, passablement irrité par deux grévistes, il a lancé à l’un d’eux : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler. » Et le gréviste de lui répondre : « Mais je rêve de travailler, monsieur Macron. »

François Hollande crachait sur les « sans-dent ». Jupiter, lui, c'est sur les sans-grade, les sans-diplôme, les sans ENA, les sans-Sciences-Po, les sans qui ne sont pas issus des « deux-cents familles », mais aussi les « illettrées » : ces braves ouvrières bretonnes de l’usine Gad, rappelez- vous c'était le 17 septembre 2014 à Josselin.

Autre détail d'importance, lors de la commémoration du 18 juin au Mont Valérien présidée cette année par Emmanuel Macron le peuple n'a pas été admis, pour la première fois depuis 1944.

Si nous ne résistons pas, ce qui nous attend, nous le dangereux peuple qui n'est rien pour ce pouvoir, sinon le néant, c'est la promulgation d’une loi d’exception, camouflant une interdiction de manifester et réduisant les libertés publiques : car l'ordre doit régner pour la croissance et le profit.